• le coût des brevets étant élevé, de nombreuses entreprises préfèrent la protection de leurs inventions par le secret ; l'innovation ne saurait donc se mesurer que par leur seul intermédiaire. Il existe également des secteurs d'activité où les cycles d'innovation sont trop courts pour que le dépôt d'un brevet, long et coûteux, et son maintien tout aussi coûteux chaque année, présentent un intérêt.
  • de nombreux brevets déposés ne sont pas de réelles innovations, et n'ont aucune valeur juridique. En revanche, ils ont une valeur comme arme anti-concurrentielle. Ainsi de puissantes multinationales, qui ont les moyens de déposer des brevets invalides, bloquent la concurrence en préemptant d'une certaine manière des procédés ou des niches technologiques, sans avoir mis au point un procédé industriel innovant. Les brevets invalides leur permettent notamment d'intimider les concurrents qui ne résisteraient pas à un procès en contrefaçon, même si l'issue leur est in fine favorable. Une telle procédure est en effet très coûteuse et peut être à même de paralyser complètement l'activité d'une entreprise.


Ensuite, du point de vue de la francophonie c'est une opération où nous sommes clairement perdants. Alors que le français est consacré comme langue officielle de l'UE, nous lui faisons perdre cet avantage en matière de propriété industrielle : aujourd'hui tous les brevets déposés à l'Office Européen des Brevets sont traduits en français, alors que si le protocole de Londres entre en vigueur, seuls 7% des brevets déposés à l'OEB seront en français. Il y a plusieurs raisons à cela :

  • l'allemand est la langue la plus parlée en Europe, et les brevets seront donc plus souvent déposés en allemand qu'en français ;
  • quant aux firmes multinationales qui déposeront des brevets en Europe, elles le feront évidemment en anglais.

En ratifiant le protocole de Londres, nous portons un coup sévère à la francophonie dans le domaine des affaires.


Enfin, et c'est là toute la contradiction des défenseurs du protocole de Londres, cet accord sera défavorable à nos entreprises et à notre compétitivité nationale. Les PME, avec ou sans les coûts de traduction, n'ont pour la plupart pas les moyens de déposer des brevets, et encore moins d'acquitter la redevance annuelle pour leur maintien. Cela représente un investissement considérable qui demande du temps pour être rentable, et cet accord ne corrigera pas ce déséquilibre entre PME et grandes entreprises. Au contraire, il aggravera le rapport de force entre les PME françaises innovantes et les multinationales :

  • la veille technologique et la recherche d'antériorité seront complexifiées à cause de l'absence de traduction en français de l'essentiel du brevet, à savoir les descriptions. Les entreprises françaises devront payer la traduction qui à ce jour est à la charge du déposant.
  • l'insécurité juridique que j'expliquais plus haut se trouvera elle aussi aggravée, puisque nos entreprises pourront se voir opposer des brevets dont elles n'avaient pas connaissance puisqu'ils sont en langue étrangère. Elles seront donc encore davantage pénalisées, jusque dans leur défense juridique, face à des entreprises qui ont une puissance financière et commerciale incomparable.

Comme l’a écrit l'ancien Garde des Sceaux Pascal Clément dans Le Monde :

« l'accord de Londres, en supprimant pour le breveté l'obligation de traduire la partie du brevet appelée description et en ne maintenant que celle des revendications, ne fait en réalité que transférer cette traduction de la description, qui est indispensable, à la charge du tiers. Cela revient à faire payer au condamné français la balle (étrangère) qui va le tuer! »


En résumé, c'est une opération perdante pour la France, le français et nos entreprises. Mon ancien collègue Jacques Myard a affirmé, à la tribune de l'Assemblée nationale, que le haut fonctionnaire qui avait signé cet accord au nom de l'État français l'avait fait en contradiction avec ses directives gouvernementales. Je ne sais pas si c'est la vérité ; en revanche je sais que cette personne a signé un accord contraire à l'intérêt national.


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