Autant le dire clairement, je pense que la stratégie de l'OTAN en Afghanistan nous amène dans le mur.

Les ingrédients de l'échec sont en place depuis plusieurs années.

-> Premièrement, comme je l'avais dit à l'automne 2001 à New York à l'Ambassadeur des États-Unis auprès de l'ONU,[1] la seule stratégie possible pour les forces dites occidentales eût été de donner dès le départ les moyens politiques et les appuis militaires à la seule force anti-taliban qui existait dans le pays : l'Alliance du Nord, qui s'était ouverte aux composantes pachtounes. Sept ans après, l'armée afghane compte moins de 60 000 hommes, est mal équipée, et est formée selon des méthodes éloignées de sa culture et de son histoire. Quant aux forces de l'OTAN, elles représentent aujourd'hui 70 000 soldats quand l'armée soviétique, forte de 250 000 hommes, a dû se résoudre à constater son échec à tenir le terrain.

Le pire, c'est qu'Obama et McCain, qui veulent faire de ce pays le « centre de la guerre contre le terrorisme » et qui proposent d'envoyer 10 000 soldats supplémentaires, ne semblent toujours pas, ni l'un ni l'autre, avoir compris que cette stratégie était vouée à l'échec...

Massoud

-> Deuxièmement, la solution Karzaï comme Président, qui a été formé et qui a vécu aux États-Unis, a été imposée à l'ensemble des chefs et des tribus afghans, qui s'y sont résignés dans l'espoir qu'une manne économique accompagnerait ce choix politique. Or l'effort occidental en Afghanistan est resté négligeable au regard des enjeux pourtant considérables et des moyens qui auraient été nécessaires pour gagner sur ce front économique et social. L'aide économique en Afghanistan représente 1% seulement des dépenses militaires engagées en Irak par les Américains, alors que le vrai front anti-terroriste se jouait dans les campagnes afghanes. Il aurait fallu au contraire mettre le paquet dès le début. Et la manne attendue n'arrivant pas, le vide économique et politique des campagnes de l'Est et du Sud du pays a été assez facilement réinvesti par les Taliban, dont l'organisation parallèle est de fait acceptée par tous les ruraux de ces zones.

On peut dire aujourd'hui que les populations afghanes ont retrouvé, au-delà des sourires de façade adressés à nos soldats, un anti-occidentalisme de base qui en fait des alliés objectifs des Taliban.

-> Troisièmement, la situation politique au Pakistan n'était déjà pas brillante en 2001 ; elle est pire aujourd'hui avec l'assassinat de Benazir Butho et la démission de Pervez Musharaf, avec une coalition dont les membres sont en désaccord sur tout, notamment sur la lutte anti-terroriste. Elle laisse ainsi les rênes lâches sur le cou de l'armée pakistanaise et des services secrets. L'armée, obsédée par le risque Indien, considère l'Afghanistan comme un élément de "profondeur stratégique". En clair, l'armée pakistanaise ne veut pas d'un pouvoir politique afghan à Kaboul qui ne soit pas directement à sa main ; par conséquent les Taliban continuent de bénéficier objectivement de leur soutien.


En conclusion, la stratégie de l'OTAN doit être révisée, et ses objectifs fixés de façon réaliste.

  1. La reconstruction d'un État sur l'ensemble du territoire afghan est aujourd'hui un objectif impossible à atteindre. En tout état de cause, il serait suicidaire pour l'OTAN de vouloir remplacer l'État et l'armée afghane dans les zones du pays où est en train de se cristalliser l'anti-occidentalisme.
  2. Pour ces mêmes raisons, et à cause de l'attitude pakistanaise, la destruction de tous les foyers terroristes est aussi un objectif impossible à atteindre. Que l'on songe que nul n'a pu jusqu'ici déloger Ben Laden de son repère dans les zones tribales de l'Ouest pakistanais, proches de la frontière afghane. Cela ne signifie pas retirer toutes nos troupes d'Afghanistan, mais leur fixer des missions différentes, et en aucun cas leur donner mission de "tenir" des territoires avec des troupes à pied - qui plus est dans les conditions discutables de l'opération de Saroubi[3] - dans un pays où tout, de la géographie à l'histoire et aux traditions, nous est défavorable. Cela ne signifie pas non plus renoncer à la lutte contre le terrorisme, mais là encore le combattre plus efficacement. Des actions de forces peuvent être organisées selon les besoins stratégiques ; des raids aériens peuvent être conduits sur des bases d'entraînement de terroristes qui se reconstitueraient.
  3. La question politique pakistanaise ne peut pas être évacuée ou laissée en-dehors du champ des discussions.

C'est à la lumière de ces trois constatations incontournables que la stratégie de l'OTAN doit impérativement être clarifiée et redéfinie. Par ailleurs, si des moyens supplémentaires doivent être donnés, ils doivent l'être au profit de la formation et de l'équipement de l'armée afghane qui doit être portée à 150 000 hommes au minimum. C'est ce que la France a tenté de plaider jusqu'ici, peut-être trop timidement. Il ne s'agit pas de tourner les talons, comme le demandent certains leaders politiques de gauche ou d'extrême gauche, car en effet c'est bien là que se joue une partie de notre liberté et de notre sécurité ; mais il s'agit d'intervenir avec lucidité et efficacité si l'on ne veut pas offrir aux Taliban de nouvelles victoires médiatiques aux dépens des vies des soldats de l'OTAN.


Photo

Avec Ahmad Shah Massoud dans la vallée du Panshir, en juin 2000.


Notes

[1] En tant que président du groupe d'étude de l'Assemblée nationale sur l'Afghanistan

[3] Je rappelle au passage que les Turcs et les Italiens qui nous ont précédés n'avaient pas quitté leur fortin depuis des mois...