Les explications et les commentaires consécutifs à la pertes du triple A français (et de 8 autres pays européens) sont légion, et parfois dépassés avant même que l'encre des articles ait fini de sécher. Les marchés en ont anticipé les conséquences, au point que même le débat sur le renflouement du Fond Européen de Stabilité Financière (FESF) - lui aussi privé de son triple A - est en train de faire « pschittt », l'Allemagne « préférant cette dégradation du FESF plutôt que de le renflouer ».

Certes, il y a matière à discuter sur la stratégie des Européens qui, en divergeant sur les réponses financières à apporter à la crise de la dette, prêtent le flanc à la spéculation. Pour autant, ce n'est pas dans le court terme, largement commenté par les spécialistes de la finance, que ces questions doivent nous interpeller le plus. Le sujet de fond est d'une plus grande gravité car fait de tendances lourdes qui ne peuvent se corriger dans l'instant. La question centrale posée autour de cette agitation financière est en effet bel et bien celle-ci :

Comment deux pays (ou deux ensembles de pays) aux économies divergentes peuvent ils partager la même monnaie ?

Cette question appelle deux réponses possibles :

  • soit nous adoptons des stratégies convergentes et donc nous allons vers une intégration européenne politique et économique renforcée ;
  • soit nous décidons (ou nous subissons) l'éclatement de la zone euro...

Et c'est bien sur cette question, « quelle politique française pour quelles convergences européennes », que devrait porter le débat de l'élection présidentielle française, sauf à faire d'emblée le choix d'une sortie de l'euro (dont il serait intéressant de décliner toutes les conséquences...).

Pour comprendre les tenants et aboutissants de ce débat, arrêtons-nous un instant sur les performances économiques comparés de la France et de l'Allemagne pour les 10 dernières années.

  • Balances commerciales : depuis 2000, accélération de la croissance de l'excédent allemand et de la croissance du déficit français (voir ci-dessous).
  • Balances commerciales
  • Compétitivité : depuis 12 ans augmentation du coût horaire du travail de 40 % en France contre seulement 14,6 % en Allemagne (il y a 12 ans le coût horaire du travail en France était inférieur de 8 % à celui de l'Allemagne...).
  • Taux de marge des entreprises : il était identique il y a 20 ans (à 33 %). Le taux de marge allemand est aujourd'hui à plus de 40 %, celui des entreprises en France est le plus bas d'Europe.
  • Politiques publiques : elles ont favorisé en France le progrès du pouvoir d'achat et non les gains de productivité, conduisant à un affaiblissement de nos positions exportatrices et à la consommation de biens importés. Elles ont amplifiés au total les déficits publics et ceux de la balance des paiements.(voir ci-dessous)
  • Parités de pouvoir d'achat Balances des paiements
  • Exportations françaises : elles représentaient 55 % des exportations allemandes il y a 10 ans, 40 % aujourd’hui.
  • Solde des échanges de marchandises entre la France et l’Allemagne : il s’élève actuellement à 200 milliards d’euros (10 % du PIB). Les pertes de parts de marché concernent quasiment tous les produits et toutes les régions.
  • Valeur ajoutée créée par l’industrie implantée sur notre territoire : elle représentait 50 % de la valeur ajoutée créée sur le territoire allemand en 2000 ; aujourd'hui 40 % seulement.
  • Entreprises industrielles : de 2000 à 2007, par comparaison avec l’Allemagne, la France en a perdu environ 13 %.

Une rupture de stratégie au moment même où naissait l'Euro

La rupture dans les stratégies réciproque de la France et de l'Allemagne date précisément d'il y a 10 ans, lorsque les autorités allemandes ont pris conscience des contraintes et des dangers de la réunification. Il en a résulté une stratégie de compétitivité mise en oeuvre de façon méthodique et dans tous les secteurs de la vie collective : réforme du marché du travail, modération salariale, investissements d'avenir et de recherche, réduction des déficits publics.

À peu près au même moment, c'est-à-dire au moment même où l'Allemagne et la France faisaient ensemble l'Euro et où la Chine entrait dans l'OMC, la France choisissait une stratégie divergente en imposant brutalement par la loi une réduction forte et uniforme de la durée du travail, engendrant une hausse du coût horaire et des coûts unitaires de production, et réduisant à néant les marges de négociation sur le triptyque emploi-salaire-durée du travail.

Les leçons à tirer sont évidentes.

Il faut non seulement éviter d'agraver la situation, mais il est indispensable de surcroît de consacrer toute notre énergie et les maigres marges de manoeuvre dont nous disposons aujourd'hui, en plein coeur de la tourmente, à poser et à décliner dans la durée une stratégie de reconquête de notre compétitivité.

Outre les orientations dites macro-économiques, qui peuvent s'inspirer de ce que l'Allemagne a fait, la France doit faire face à un autre handicap structurel qui lui est propre : son économie est largement dominée par de grandes entreprises que leur dimension internationale a rendu « apatrides », et dont la contribution réelle à la croissance et à l'emploi dans notre pays va s'amenuisant, attirées qu'elles sont par les croissances à deux chiffres des pays émergents...

Les entreprises familiales, plus ancrées dans le territoire, y sont en trop petit nombre et de trop faible importance. Pourtant il est connu que les entreprises familiales préfèrent produire localement et exporter plutôt que s'implanter ailleurs. Elles y défendent davantage l'emploi.

En France, l'ISF, les problèmes de transmissions patrimoniales, la rigidité excessive de la réglementation du travail et un dialogue social encore insuffisant génèrent la réticence des entrepreneurs à faire grossir leurs entreprises.

En Allemagne cet ancrage dans le territoire d'entreprises familiales génère deux autres conséquences, d'ordre culturel mais aux résultats économiques bien concrets :

  • une très grande solidarité entre les entreprises de chaque Land, avec une relation client/fournisseurs différente et une plus grande fidélité, la réunion des forces - là où la France se caractérise par l' éparpillement et par des « patrons managers » qui ont financiarisé l'industrie ;
  • une alliance solide dans les Länder entre ces entreprises et les banques.

Bien que ce diagnostic ait été fait depuis longtemps, et bien que des efforts aient été réalisés autour des pôles de compétitivité par exemple, nous sommes encore bien loin du compte. C'est pourquoi, outre les orientations macro-économiques favorables à la compétitivité, nous avons besoin d'une véritable stratégie visant à faire naître, à développer et à conforter un tissu économique local et national autour d'un plus grand nombre d'entreprises familiales.

Tout ceci ne devrait-il pas et ne pourrait-il pas faire l'objet d'une mobilisation nationale ?