Monsieur le Président,

Nous tenons à vous remercier tout particulièrement d'avoir considéré les désaccords qui vous ont été exprimés, et laissé au Groupe UMP du temps pour débattre du projet de loi « Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information » après son vote par le Sénat.

Suite à la convocation de la Commission mixte paritaire. nous vous donnons le dernier point de nos réflexions sur ce texte.


1. Interopérabilité

Nous constatons suite à la réunion avec le ministre et vous-même qu'il n'est que partiellement satisfait à nos demandes sur l'interopérabilité. Nous avions demandé le retour à l'article 7 de l'Assemblée. Nous notons positivement, dans l'attente de la version finale du texte :

  • le retour du principe selon lequel les MTP ne peuvent empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité ;
  • que la mission de conciliation de l'Autorité de régulation des mesures techniques a été modifiée au profit du seul pouvoir d'injonction sur les éditeurs de MTP qui n'auraient pas rendu accessibles les informations essentielles à l'interopérabilité ;
  • la réintroduction de la notion de standard ouvert dans la définition des informations essentielles à l'interopérabilité.

Nous notons en revanche la persistance de la rédaction sur :

  • les « conditions dans lesquelles le demandeur peut obtenir l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité » ; nous maintenons qu'il ne peut y avoir de conditions à l'obtention de ces informations, notamment pas de « rémunération appropriée » en-dehors des frais de logistique engagés pour transmettre ces informations ;
  • les « engagements (que le demandeur) doit respecter pour garantir l'efficacité et l'intégrité de la mesure technique, ainsi que les conditions d'accès et d'usage du contenu protégé », obligation non de moyens mais de résultat, qui nous semble disproportionnée et susceptible d'arbitraire tant sa rédaction est floue ;
  • la possibilité d'interdire la publication du code source d'un logiciel indépendant interopérant avec une MTP, au risque de porter atteinte au droit moral des auteurs de logiciels libres ;
  • un rappel laconique et imprécis à l'article L.122-6-1 pour l'exception de décompilation, alors qu'une rédaction précise et sécurisante – mais n'octroyant pas plus de droit que ce qui est déjà autorisé par le Code de la propriété intellectuelle – a été proposée pour garantir réellement le droit de mettre en oeuvre l'interopérabilité, conformément au considérant 50 de la directive 2001/29CE.



2. Insécurité juridique

Nous notons positivement le retour, à l'article 12 bis, du troisième alinéa de l'Assemblée nationale qui exclut de la pénalisation les logiciels destinés à des usages licites, disposition fondamentale notamment pour préserver la compétitivité de nos centres de recherche et de nos entreprises innovantes.

Toutefois nous déplorons le maintien en l'état de l'article 14 ter A du Sénat, disposition superfétatoire (l'article 1382 du Code civil est applicable). Elle est dangereuse car elle inverse la charge de la preuve pour l'abonné s'il est victime de fraude informatique, et lui impose des dépenses supplémentaires. De plus, on ne sait rien ni des modalités de « mise à disposition » de ces moyens de sécurisation, ni des sanctions encourues si le fournisseur d'accès ou l'abonné ne respectent pas cette législation d'exception.

Par ailleurs, nous nous inquiétons de la possible extension de l'article 14 quater à des acteurs autres que les éditeurs de logiciels. À dire vrai, en l'état cet article nous semble receler des risques de dérives susceptibles de conduire à un gel de l'innovation, de par l'insécurité juridique – d'ailleurs reconnue par Michel Thiollière dans son rapport au Sénat – qu'il créerait.


3. Commentaires

Ces éléments limitent considérablement voire rendent caducs les points positifs évoqués en 1 et en 2 :

  • imposer des conditions d'obtention des informations essentielles et de mise en oeuvre de l'interopérabilité revient à la rendre aléatoire voire dans certains cas impossible, et va donc à l'encontre du droit à l'interopérabilité proclamé plus haut. Nous ne pouvons donc approuver le principe d'une autorité décidant de ces conditions ;
  • par ailleurs ce choix remet en cause le développement de nos PME innovantes dans le domaine des logiciels. De plus, comme tend à le prouver une étude américaine rendue publique ce vendredi, limiter l'interopérabilité est non seulement anti-concurrentiel, mais peut également nuire au marché de la musique par internet ;
  • la décompilation est le seul moyen de garantir la possibilité de réaliser un logiciel indépendant interopérable, notamment en cas de pratiques anti-concurrentielles d'entreprises qui refusent de se plier aux décisions judiciaires. Les travaux de décompilation et d'ingénierie inverse (qui sont techniques, longs et fastidieux, et par conséquent pas à la portée du premier venu) doivent donc être réellement sécurisés, car ils sont la seule « issue de secours » pour la libre concurrence ;
  • limiter la liberté de publication du code source d'un logiciel indépendant interopérable revient à exclure purement et simplement le logiciel libre du marché du multimedia, et donc à limiter considérablement la concurrence entre outils de lecture, la liberté de choix des consommateurs mais aussi des entreprises diffusant des contenus en ligne ;
  • enfin, les différentes charges nouvelles induites par ce texte posent des barrières technologiques et financières d'accès à la culture numérisée. Ce serait aussi nous interdire un moyen de réduire la fracture numérique.



En résumé, pour notre économie comme pour préserver la liberté du consommateur dans l'environnement numérique, il est nécessaire d'être pleinement et non partiellement dans la philosophie qui supporte l'idée du droit à l'interopérabilité et du développement en France du logiciel libre, seule alternative à notre disposition pour préserver notre indépendance stratégique et notre sécurité dans le domaine des technologies de l'information.

Nous espérons la clarification de ces points d'ici la réunion de la CMP et souhaitons avoir connaissance dans les meilleurs délais de la position qui sera finalement défendue par le groupe pour nous permettre de voter en conscience. Vous remerciant de l'attention que vous porterez à notre démarche, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de notre haute considération.


Yves BUR
Bernard CARAYON
Richard CAZENAVE
Georges COLOMBIER
Dominique DORD
Patrick LABAUNE
Pierre LASBORDE
Lionnel LUCA
Jean-Pierre NICOLAS
Bernard POUSSET
Jacques REMILLER
Alain SUGUENOT